LES BICOTS NÈGRES, VOS VOISINS(Mauritanie) - JCC : 1973 - 102 min


Med Hondo




Med Hondo tourne au début des années 70 ce formidable manifeste anticolonialiste, fidèle à ses engagements et à sa créativité composite. Si dès les premières minutes le regretté cinéaste adopte un regard fondé sur l’interactivité et la réflexivité il n’en perd pas moins de vue le ludisme et l’inventivité visuelle, fer de lance de son cinéma...

Plus de cinq années après son premier long métrage ( le remarquable et controversé Soleil O ) Med Hondo poursuit sa volonté d’interpeller le spectateur quant aux questions post-coloniales inhérentes à la cause africaine. A l’instar de Soleil O l’éloquent Bicots-Nègres, vos voisins assume dignement sa partialité, allant même plus loin que son prédécesseur : il montre à une juste hauteur la condition du peuple africain, peuple mésestimé au profit des occidentaux et du grand Capital, tout en explicitant leur relation sine qua non. Luttes ethniques et lutte des classes vont de paire chez le réalisateur franco-mauritanien : il brosse un portrait limpide des richesses du monde occidental, héritées pour beaucoup d’entre elles de la force de travail des ouvriers issus de l’immigration... On pense aisément à une certaine forme de servage, idée radicale uniquement atténuée par sa terrifiante modernité.

Bicots-Nègres, vos voisins brille par ailleurs de réelles audaces cinématographiques, rappelant la période militante et contemporaine du cinéma hétéroclite de Jean-Luc Godard ( notamment ses travaux expérimentaux exécutés au sein du groupe Dziga Vertov ) ; il montre frontalement une civilisation rejetée, exploitée et instrumentalisée par l’élite capitaliste - élite souvent représentée par l’Homme Blanc, s’évertuant à conserver ses biens et un certain immobilisme politique. Une scène sidère par son apparente désinvolture, moment de légèreté couvant en réalité une profonde gravité : celle d’une discussion décalée entre un manifestant Noir et un français moyen pétri de préjugés campé par un Gérard Hernandez en très grande forme. La séquence, de registre délibérément comique, fait pratiquement figure d’apologue : deux voisins marchant côte à côte, incompris l’un de l’autre mais voués à vivre ensemble pour une nouvelle ré-publique...

En fin de compte Med Hondo livre un film dense, passionnant car en perpétuel renouvellement d’une séquence à la suivante. Un grand morceau de cinéma, tranché mais d’une intelligence indiscutable, qu’il serait bon de réhabiliter à l’occasion : magnifique !

Par Stebbins
(Extraits)

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