Les sabots en or(Tunisia) - JCC : 1988 - 104 min


Nouri Bouzid




Réalisé en 1988, Les Sabots en or n’est sorti en Tunisie qu’en 1989, après que la censure, qui exigeait de Nouri Bouzid qu’il sacrifie trois minutes de film, eut obtenu du réalisateur trente-cinq secondes de coupes (consenties dans une scène d’amour et une autre de torture). Présenté au Festival de Cannes 1989, dans la sélection « Un certain regard », le film sort aujourd’hui seulement en France, sans que cet écart soit réellement préjudiciable à son intérêt. De Nouri Bouzid, ont déjà été présentés L’Homme de cendres (1986) et Bezness (1992) qui, chacun à sa manière, témoignaient de l’audace d’un cinéaste que rien ni personne ne semble devoir impressionner (en 1968, il a été condamné à six années d’emprisonnement, en tant qu’un des responsables du mouvement « Perspectives »).

Dans Les Sabots d’or, Nouri Bouzid analyse la situation de l’intellectuel tunisien, confronté à la montée de l’intégrisme et prisonnier de contradictions qu’il se révèle incapable de dépasser. A la suite de Youssouf, intellectuel qui vient de sortir de prison et tente de reconstituer le puzzle de ce qu’a été sa vie, dont il ne reste plus rien, Nouri Bouzid s’interroge sur le sens de l’engagement, sur le nécessaire maintien d’un équilibre entre tradition et modernité. Au sein d’un récit éclaté, problèmes sentimentaux et familiaux se mêlent aux interrogations politiques, à la description de la répression envisagée sous ses aspects les plus violents (les scènes de torture sont d’un réalisme impressionnant).

Cette complexité structurelle produit souvent une grande confusion, qui contribue à rendre délicate l’approche du film. En dressant le constat de sa propre faillite, Youssouf voit s’imposer à lui l’évidence de son inutilité, de son inadaptation à un monde dont il n’a pas su, ou pas voulu, percevoir les évolutions. Lorsque son destin se révèle semblable à celui des chevaux qu’abat, dépouille et débite son frère, boucher acquis aux thèses de l’intégrisme, Nouri Bouzid dévide la métaphore avec une obstination toute didactique, qui traduit le courage du militant autant qu’elle trahit le manque de confiance en lui du cinéaste.

Par Frida Dahmani
lemonde.fr