AYA(Tunisia) - JCC : 2017 - 23 min


Moufida Fedhila




Avec Aya, qu’elle décrit comme un film destiné « aussi » aux enfants, la réalisatrice Moufida Fedhila porte à l’écran un fait divers qui, dans sa banalité, illustre parfaitement l’impasse où se trouvent les jeunes filles salafistes de Tunisie, écartelée entre la progressisme des écoles primaires et le traditionalisme des écoles coraniques. C’est le cas du personnage titulaire, auquel l’excellente jeune actrice May Berhouma prête alternativement l’indocilité et la candeur d’un écolier truffautien, dont le drame socio-domestique constitue ici aussi une opportune analyse de mœurs. Rappelé à l’ordre par quelques-uns de ses coreligionnaires, qui débarquent dans son commerce à la manière d’un détachement maffieux, le père d’Aya s’empresse alors de lui dépeindre un Allah/Père Noël qui ne lui apparaîtrait que si elle cesse de jouer avec les garçons et se met à « grandir » dans la foi (prescription qu’elle interprète comme une injonction de troquer son hijab pour un niqab). Or, le voile intégral étant déjà mal vu par la population locale, il s’agit d’un véritable objet de ridicule pour ses camarades de classe « régulière », qui invectivent la jeune fille et s’ameutent pour le lui arracher. Venant à la rescousse de sa fille, la mère d’Aya la transporte alors aux abords de la ville, où elle se dénude la tête à son tour, opposant au spectacle navrant du dévoilement forcé le spectacle affirmatif du dévoilement volontaire, pourvoyant ainsi au film une finale superbe, où la chevelure magnifique des deux protagonistes luit finalement au soleil.
Grâce à ce récit archisimple, où chaque geste et chaque regard est lourd de signification, Fedhila évoque parfaitement l’injustice inhérente au sectarisme imposé (à l’imaginaire infantile), militant ce faisant pour le droit des femmes à l’autodétermination. À ce titre, il est intéressant de noter l’incroyable sensualité des images d’ouverture qui, par le spectacle impressionniste d’un couple aux bains, dévoile tout un pan dissimulé de la société maghrébine, soit la sensualité féminine. Si ce n’était du caractère fragmentaire et du grand esthétisme de la séquence, on pourrait presque croire à une provocation. Or, c’est précisément là que réside tout le génie de la cinéaste : dans la subtilité de son militantisme et son approche légère du problème central, dont le caractère absurde se dégage ainsi naturellement du matériau narratif.

Par Olivier Thibodeau
(Extraits)

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